توصلت السلطة الرابعة بمجموعة كتابات للصحفي الكبير محمد عبد الله بزيد.. كان قد نشر منها جزء في بعض المواقع.. و ننشر في البداية رحلة قام بها الكاتب بين تيشيت و ولاته... دون فيها يوميات هذه الرحلة و أهم مشاهداته فيها..
و سنقوم بنشر الرحلة في البداية بنصها الأصلي باللغة الفرنسية على أمل ترجمتها لاحقا إلى اللغة العربية...
و سنقوم بنشر الرحلة في البداية بنصها الأصلي باللغة الفرنسية على أمل ترجمتها لاحقا إلى اللغة العربية...
Mardi 25 octobre 2005. Trois heures trente
minutes. Mohamedou, guide de profession, la cinquantaine bien sonnée, vint me réveiller.
Recruté
quatre heures plus tôt pour me conduire de Tichitt à Walata, il a tenu sa
promesse. Nous avions convenu de quitter la cité historique à cette heure
tardive de la nuit.
Moktar,
l’ingénieur de l’équipe et Brahim, le chauffeur de notre voiture de location,
se lèvent presque en même temps que moi.
Epuisés par le voyage de la veille entre
Tidjikja et Tichitt, un tronçon redouté par les concurrents du Dakar, nous
avions du mal à émerger de notre profond sommeil.
Encore
mal réveillés nous nous traînâmes, d’un pas mal assuré, vers la voiture parquée
à cent mètres de là. Un dernier et ultime contrôle. Les bidons d’eau étaient
presque pleins, la réserve de carburant était là, le matériel de thé aussi.
Trois heures quarante cinq. La voiture démarre.
Direction Walata. L’obscurité est totale.
Un vent léger souffle de l’Est soulevant une fine poussière.
Nous
traversons la palmeraie en direction de l’aéroport. Pas une lumière. Pas un
bruit. Tichitt dort.
Sur notre gauche, un rideau noir obstrue l’horizon.
C’est le Dhar de Tichittt. Un plateau de moyenne altitude délimitant la grande
cuvette latérite dans laquelle nous progressons.
Au
bout d’un quart d’heure, nous voilà à une dizaine de kilomètres du point de
départ. Première surprise : un troupeau de vaches, dérangé par notre
irruption subite, se mit à courir dans toutes les directions.
Une
piste sinueuse croisa la nôtre. Brahim hésite un instant. « Ce n’est pas la
bonne, avance » lui dit le guide,
imperturbable.
Cette
piste, je l’appris plus tard, mène à Chebka (le filet), un village créé récemment
par les Nemadi, ces légendaires chasseurs nomades de l’Est mauritanien.
Réduites à la misère depuis que l’addax, la
biche Robert et l’autruche ont fui ces contrées devant la raréfaction de l’eau,
l’absence de pâturages et l’intensification du braconnage, les
communautés Nemadis vivent les moments les plus difficiles de leur existence.
Finies
les longues traques du gibier avec la complicité des lévriers.
Finies
les veillées au clair de lune au cours desquelles les hommes prenaient un réel plaisir
à raconter aux femmes et aux enfants
leurs exploits de chasse.
Finie
enfin la fierté d’une communauté humaine restée, jusqu’au milieu des années soixante
du siècle dernier, insoumise, mystérieuse et relativement prospère.
Contraintes
d’abandonner le mode de vie ancestral certaines familles Nemadi, la mort dans
l’âme, sont venues grossir les bidonvilles des cités situées en bordure du
grand Sahara mauritanien : Tichitt, Walata, Chinguitti, Ouadane, Zouératt…
D’autres
moins nombreuses, indécises et désemparées, sont restées sur place. Elles ont
fondé de petites colonies miséreuses desseminées dans le désert à l’image du hameau de Chebka.
La
voiture continue d’avancer péniblement. Mes compagnons de route ne disent plus
un mot. Cramponnés à leurs siéges ils méditent en silence, le regard évasif, la tête ailleurs.
Soudain
apparut devant nous un mont, Ajenjeil. Un pic superbe. C’est dit-on le gardien
infatigable de la cité d’Aghreijitt, la sœur jumelle de Tichitt.
Aghreijitt,
notre première étape sur la route de Walata. Vingt cinq minutes d’arrêt.
Mohamedou profite de ce laps de temps pour remettre des
colis à des familles du village. Dans l’obscurité j’ai du mal à me faire une
idée exacte des lieux.
Profitant des phares du véhicule j’aperçus,
l’espace d’un instant, un tas de petites maisons en pierres puis, tout au fond
de la vallée, des palmiers épars croulants sous le poids des dunes.
En dépit de l’heure tardive, des villageois,
tirés de leur sommeil par le bruit du moteur, vinrent à notre rencontre.
Serrés
les uns contre les autres comme pour se soutenir et se tenant par les mains,
ils nous regardent fixement. Ils nous dévisagent. Commentent à voix basse. Sourient.
Les
plus téméraires viennent se coller à la voiture. D’autres préfèrent s’amuser
avec les rétroviseurs extérieurs. Un groupe d’hommes et de femmes reste en
retrait.
J’achète, dans une petite boutique, du thé
vert et du sucre à des prix ne pouvant défier aucune concurrence. Mes
compagnons, eux, complètent la provision d’eau au puits d’Aghreijitt, un
puisard aménagé au milieu de la
palmeraie.
A la
sortie de ce village paisible nous nous engageons dans un col difficile, un
passage obligatoire et dangereux. Des bancs de sable mou et des rochers.
Nous
nous faufilons
Tout
prés de nous, apparut Trayeg (la piste) de Mohamed Nave qui conduit, dit-on, à
une portion de ce désert inhospitalier où l’on peut ramasser, au milieu des
vestiges de cités sahariennes disparues, des pierres précieuses.
L’envie
d’y faire un tour me traversa l’esprit. J’ai toujours rêvé de ramener un jour,
à ma fille Nebila, une pierre précieuse.
Mes
fréquentes traversées du désert ne m’ont pas donné l’occasion de concrétiser ce
rêve.
Les difficultés de terrain et le risque de nous retrouver les quatre roues en l’air
me dissuadèrent d’aller tenter ma chance.
Nous roulons depuis une demi-heure en
direction de Toueyjinitt (la plaine ocre), un point d’eau lointain.
Il
fait encore nuit. Brahim s’en sort bien malgré les difficultés du terrain. Il
arrive à se dégager des piéges que constituent les bancs de sable et ne manque
pas une occasion pour nous rappeler qu’il a affronté des situations plus
difficiles.
Personnellement je ne le crois pas mais je me
garde bien de le lui dire.
Mokhtar
récite des prières et jette de temps à autre un regard anxieux sur le paysage
monotone qui s’étend devant nous. Mohamedou raconte des souvenirs de voyages,
effectués entre Tichitt et Walata, en compagnie de touristes européens. Une manière de nous rassurer.
Une
lampe torche à la main gauche et un stylo à la main droite j’essaie de prendre
des notes comme je peux. A la moindre secousse mon carnet de notes, tenu sur
mes jambes, tombait à mes pieds. Je m’empressais de le reprendre sous le regard
amusé de Brahim.
A
la pointe de l’aube nous arrivons à Graret Levrass (la prairie de la jument). Difficile
de s’imaginer que cette cuvette ovale et caillouteuse, balayée par l’harmattan,
fut un jour une prairie.
Six heures. Nous décidons de nous arrêter
pour la prière du Sobh (le matin).
Au loin se profilent les contours brumeux des
monts Merzak (l’antre) et Ntaviyyat (les priodontes). Tout au fond, une dune
gigantesque, Ziret El Id (la dune de la fête).
Six heures vingt minutes. Nous nous engageons
dans la passe abrupte d’Affam Lekhreizatt (les portes des cols) pour descendre
dans Wad Ervayeg (la vallée des
caravanes).
Sur
la droite apparut, à l’horizon, un nouveau pic, Cheg El Khail (la passe des
chevaux). Plus loin encore émergea un nouveau monticule, Glaib Erkayez (le
monticule des mâts) et tout au fond une immense saline, Toueyjinitt.
Nous
y sommes enfin.
J’ai
toujours pensé que ce nom désignait une oasis prospère ou tout au moins un
petit village saharien où il faisait bon de vivre. Il n’en est rien.
Toueyjinitt
est un hameau perdu situé à soixante dix kilomètres à l’Est de Tichitt. On y
dénombre peu d’habitations. Six à sept petites maisons de terre délabrées. Sur
le toit d’une chaumière nous fumes surpris de voir, flotter au vent, une
antenne filaire. Une fausse note dans ce bled reculé.
Pour rester en vie, pour garder le contact
avec les habitants de la planète terre, les Toueyjinittois entrent chaque jour en
communication radio avec la préfecture de Tichitt. Une liaison qui n’a pas de
prix.
A l’orée
du village s’étend une ancienne saline du désert mauritanien. On en extrait,
bon an mal an, huit cent à mille deux cents tonnes d’Amersal. Un sel de qualité
médiocre destiné exclusivement à l’alimentation du bétail.
Des
caravanes continuent de l’acheminer, à dos de chameau, vers les marchés de
Timbédra, Néma, Walata et Bassiknou (en
Mauritanie) et de Léré, Niono et Ségou (au Mali). Une tradition millénaire qui
se perpétue.
Nous
décidons de faire une halte à l’Est de
Toueyjinitt, le temps de prendre un thé
dans un campement nomade situé à la périphérie de la saline.
Mohamedou et moi-même avions besoin d’un thé à
la menthe. D’un thé tout court. Mokhtar et Brahim font le carême. Des durs.
Au
campement l’accueil est plutôt sympathique. On nous offre du lait de brebis en
guise de petit déjeuner. J’en raffole. Le guide aussi a l’air de l’apprécier
autant que moi. Je dirai même un peu plus.
La séance de thé commence et avec elle une
petite causerie à bâtons rompus.
Le patriarche de la communauté, un vieil homme
de haute taille, le visage émacié, le nez aquilin, le corps frêle et la
chevelure grisonnante vint s’installer à coté de moi.
Encouragés par ce geste les femmes et les
enfants en font autant. La discussion s’anime. Ensemble nous essayons de
satisfaire la curiosité maladive de nos hôtes. L’épreuve consistait à répondre
à de nombreuses questions : d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Quel est le but de notre voyage ? Avions-nous rencontré des
difficultés ? Connaissons-nous la
zone ? A quelles tribus appartenons-nous ?…
Soudain, sortant de je ne sais où, surgit un
jeune homme soigneusement enveloppé d’une couverture épaisse. Il était en sueur
et tremblait de tout son corps. «Quelqu’un parmi vous a-t-il de la
nivaquine ? » dit-il simplement. Il était en proie à une forte
fièvre.
Prompt à réagir, notre guide alla tirer de son
sac de voyage un sachet. Il le tendit au malade dans un geste de triomphe. «Tenez,
ces médicaments sont efficaces pour le traitement de la fièvre, des maux de
tête, des courbatures, des migraines, des douleurs de l’abdomen et de la
vessie, bref un remède à tout ».
Pendant
que notre guide, qui se découvrait soudainement des talents de toubib émérite,
vantait les vertus de ses médicaments le pauvre malade ne cessait de hocher la
tête et de se confondre en remerciements.
Je m’apprêtais à placer un mot lorsque le
malade ouvrit le sachet, fit glisser cinq à six comprimés dans la paume de sa
main rugueuse et les avala d’un trait. La scène se passa très vite. Mes
compagnons et moi n’avions pas eu le temps de réagir.
Dans
mon ébahissement, je ne pouvais détacher mon regard du visage du malade. Un
visage marqué par la souffrance. Sur son front marqué par la douleur dégoulinaient
de grosses perles de sueur.
Je me sentis mal à l’aise à mon tour. Quelque
chose me disait qu’un drame allait survenir. Que le malade allait s’écrouler.
Quels genres de dragées le guide a t-il donné à ce pauvre
nomade ? Pourquoi l’avons-nous laissé faire ? Que faire en cas de détérioration subite de
l’état de santé du malade ? Quelle sera, dans ce cas, la réaction de nos
hôtes ? Des tas de questions qui se
bousculaient dans ma tête et auxquelles je ne trouvais la moindre réponse.
Très
vite, mes craintes se dissipèrent. Celui que je croyais au bord de l’agonie se
mit soudain à raconter des histoires, à plaisanter, à poser des questions comme
tout le monde. Un miracle. J’étais soulagé. Délivré.
Momentanément
rassuré, je repris ma conversation avec le patriarche du campement. Celui-ci me
demanda si j’avais, par hasard, des nouvelles d’un frère qu’il a perdu de vue
depuis… soixante dix ans!
« Aux dernières nouvelles il vivait dans
un village situé sur la frontière bissau-senegalaise, était marié et avait deux
enfants ».
Ne
disposant pas des informations qu’il souhaitait obtenir je lui suggérais
d’envoyer l’un de ses fils à la recherche du frère disparu.
En
réaction à ma proposition il se contenta
de répondre tout simplement :
« Mes fils n’ont jamais quitté ce désert.
C’est d’ailleurs le cas de tout le monde ici. Nous sommes attachés à notre
terre. Moi seul j’ai effectué un grand voyage il y a de cela quarante neuf ans.
J’ai voyagé en avion entre Tichitt et Nouakchott.
Cela
peut vous paraître drôle. Peu importe. J’étais à Tichitt lorsqu’un avion s’est
posé sur la piste. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il était venu chercher.
Au moment où il s’apprêtait à reprendre les
airs un homme est apparu à la porte et a crié à haute voix : tous ceux
d’entre vous qui désirent visiter Nouakchott peuvent embarquer gratuitement.
Poussé
par je ne sais quelle force intérieure je sautais à bord de l’appareil en compagnie d’un
notable de la ville. Trois heures plus tard je débarquais à Nouakchott sans but
précis bien sûr, sans papiers, sans argent».
Il
était fier de raconter cette histoire. Ses yeux brillaient de satisfaction. Il
était tout bonnement heureux. L’histoire de ce voyage était une manière polie
de nous faire comprendre que l’on pouvait rencontrer, à tout moment, dans ces
contrées coupées du monde, des personnes ayant été en contact avec ce que l’on
appelle pompeusement la civilisation. Une leçon.
La
conversation tourna ensuite autour d’un célèbre guide de Néma, monsieur Nani,
que j’ai eu l’honneur et le plaisir de connaître et d’apprécier. J’ai fait en
sa compagnie un tour inoubliable du Hodh Charghi à la fin des années quatre
vingt, lors de mes premières tournées avec la radio rurale.
Sept
heures quarante cinq minutes. La pause thé est terminée. Nous quittons
Toueyjinit pour l’étape suivante, Aratane, une zone montagneuse, située à la
croisée des chemins entre Tichitt et
Walata.
En cours de route le guide m’apprit que les
habitants de Toueyjinitt sont installés sur ce bout de territoire depuis des
générations.
Ils vivent principalement de l’extraction du
sel et, dans une moindre mesure, de l’élevage.
Une main d’œuvre bon marché pour les caravaniers.
Nous
longeons les monts Aziwaz (les tordus) puis le pic de Tenga (le mirador) avant de
nous engager dans Vouj Errih (la fente du
vent). Je tressaillis. Mokhtar devint blême.
Une
panne, le moindre faux pas et adieu la vie. Des montagnes poussiéreuses, des
ravins profonds hérissés d’épineux rabougris, de hautes dunes de sable mouvant,
des blocs de granite géants. Un paysage de Far West !
Sur notre droite le Guentour (la grotte) de
Ould Aboyd. Devant nous la cordillère d’El Hammoun, haute et imposante. Au loin
Goueratt Ettiziyaten (les pitons des
sacs), des rochers pittoresques qui tentent désespérément de résister aux
assauts répétés d’un sable conquérant.
Notre
voiture avance péniblement. Son moteur rugit avec force au point de se fendre.
Sa carcasse d’acier vibre au moindre effort. Ses roues sifflent au contact du
sable mou.
A
l’intérieur de la cabine, la température ne cesse de monter. La vallée se
transforme petit à petit en une fournaise. Nous sommes en sueur. Mokhtar
tripote son téléphone thuraya, notre seul lien avec le monde extérieur.
Mohamedou,
le guide, s’est affaissé dans son fauteuil et ne dit plus un mot. Brahim, le
chauffeur, n’arrête pas de nettoyer ses lunettes et de maugréer des mots
inintelligibles.
Je ne suis pas dans de meilleures conditions.
Loin s’en faut. Je continue néanmoins à prendre des notes comme je peux. De
griffonner, sur le papier vierge, des lettres et des signes n’appartenant
à aucun alphabet connu.
A
partir de Glaib Sfar (le mont jaune), un paysage généreux prend le dessus sur
les maigres pâturages que nous venons de traverser. Ici la pluie a été bonne
cette année.
L’herbe tendre recouvre le sol à perte de vue.
La maudite vallée de Vouj Errih n’est plus qu’un mauvais souvenir.
Chemin faisant, nous côtoyons de petits
campements nomades éparpillés sur un parcours d’une dizaine de kilomètres. Des
tentes dressées par ci, par là.
A la demande pressante du guide nous décidons
de faire une halte. Mohamedou alla à la rencontre des nomades dans l’espoir
d’obtenir une denrée, dont il ne cesse
de vanter les bienfaits depuis notre
départ de Tichitt, le lait de chamelle. Il obtint satisfaction.
Au moment de reprendre la route un jeune
berger, le visage et la tête recouverts aux trois quarts d’un turban noir, embarque
avec nous. Il se rend, dit- il, au campement voisin.
Nous
longeons Ziratt Ergouga (les dunes des
regs) puis Agneitiratt El Maqil (les grottes de la sieste).
Le trajet est difficile, long, éprouvant. Une demi-heure
encore et nous voilà arrivés à la hauteur de deux tentes isolées.
Le
berger sauta à terre et disparut
aussitôt. Sans remercier. Sans prendre congé. Tout bonnement heureux d’avoir
quitté ce cercueil motorisé errant sans but au milieu d’un océan de sable. Un
océan témoin muet et complice de la disparition de milliers de voyageurs.
Quelques
instants après nous nous retrouvons aux pieds des monts Idersan (les vases).
De
là, nous nous engageons dans une cuvette rocailleuse s’étirant du nord au sud,
Gté Enn Ama (la passe de l’autruche).
Neuf
heures et quart. Nous progressons
davantage dans ce désert sans fin. Nous dépassons le mont Lekhweidem (la petite
servante).
Mes
paupières sont lourdes. Je résiste tant bien que mal au sommeil, au prix
d’efforts surhumains.
Au loin, apparut un superbe rocher juché au
cœur d’une vallée splendide.
«
C’est le site de Makhrouga, une curiosité! » s’écria Mohamedou.
Sur les hauteurs surplombant ce chef d’œuvre
de la nature se dresse un autre monticule, le Mahsar (le congrès).
A
en croire les populations locales, ce site fut le théâtre de batailles sanglantes.
De scènes d’amour et de haine, de soumission et de révolte, de fidélité et de
trahison.
Des clans rivaux d’Awlad Mbarek, une des
tribus guerrières de la
Mauritanie, se sont battus à mort dans chaque coin et recoin
de cette cuvette. Pour la conquête de la chefferie, pour laver un affront, pour
venger un proche, pour un rien.
Tout
en promenant le regard autour de moi, je
me surpris entrain de guetter les hourra des guerriers Oulad Mbarek rentrant au
campement après une dure bataille, le hennissement strident de leurs chevaux pur
sang, les rires moqueurs de leurs belles femmes, les poèmes épiques de leurs
griots, les battements assourdissants de leurs tamtams. Des hallucinations.
Makhrouga est
un endroit magique. C’est le site le plus magnifique de Khreizet
Aratane (la petite perle).
En ce mois d’octobre 2005, l’herbe tendre y
abonde. Les acacias, arrivés à maturité
à la faveur d’un hiver précoce, sont en fleurs. Ils répandent, aux quatre coins de la
vallée, un parfum léger et bienfaisant.
Les versants des montagnes, généralement brumeux
et tristes en pareille saison, sont recouverts d’un tapis verdoyant. Un très
beau paysage. Nous ne pouvions résister à l’idée de le contempler de plus prés.
Nous
descendons de voiture malgré la chaleur et la fatigue pour nous diriger, comme attirés par un aimant,
vers le centre de Makhrouga.
Nous sommes là depuis un quart d’heure à
admirer cette falaise. Elle a la forme d’un demi-cercle. Sur sa crête repose des
rochers arrondis, de dimensions plus ou moins égales. Des statuettes ? Des
divinités antiques ? Des météorites ? Impossible de savoir de quoi il
s’agit.
Un indien d’Amérique du sud se serait cru en
présence d’un temple Inca, maya ou aztèque.
Un bonze en quête de nirvana, de passage à
Makhrouga, se serait prosterné devant ces petits Bouddha tellement la ressemblance
est frappante.
A la base de la falaise mon regard s’attarde
sur des creux, des orifices et des arêtes qui tapissent la paroi de la roche.
Au centre, sur des mâts géants taillés dans la pierre. Tout au fond, sur des
ouvertures latérales en forme de hublots qui donnent à la falaise la forme d’un
bateau étrange voguant sur une mer clémente.
A
l’extrémité nord du site se dresse un rocher haut d’une trentaine de mètres.
Au
fil des ans les intempéries ont fini par le détacher de la falaise mère dont il
continue de porter fièrement les marques et de partager le mystère.
Boudeur mais élégant et fier il garde la tête
haute et l’espoir de retourner un jour dans le giron familial.
Au
pied du pic on peut admirer à loisir une grande roche volcanique de couleur
noire, une espèce de tortue géante guettant une proie invisible.
Mes
amis et moi sommes tirés de notre émerveillement par l’arrivée surprise de deux
jeunes femmes portant chacune dans ses bras un enfant en bas âge.
« Ce
sont les filles de A …S… », lança
le guide.
Leur mère est une femme réputée dans la zone.
Sa spécialité, la vente d’objets d’art aux touristes de passage. Elle a
l’habitude de s’installer à proximité de Makhrouga entre les mois d’octobre et
de février, c'est-à-dire pendant la saison touristique.
Au
sortir de Khreizet Aratane nous passons
à coté du mont Ezzek’h (l’étrange) avant
de nous engager sur des terrains
rocailleux, sablonneux, impraticables.
Chemin faisant nous nous arrêtons à la mare
saisonnière d’Aratane. Une mare du désert. Elle regorge d’eau. Ne pouvant me retenir, je
m’y rends pour me desalterer et me rafraîchir. L’eau est limpide. Elle coule entre des rochers de granite.
Sur les berges de la mare il n’y a pas la
moindre trace de vie humaine. Remis de
ma fatigue après ce bain improvisé, je rejoignis mon équipe restée dans le
véhicule.
Sur
notre gauche apparut un mont : Bechnayer (le vertueux). Il abriterait les
plus belles et les plus spacieuses grottes du désert mauritanien.
Les habitués de ces parcours se privent rarement
d’y passer la journée.
Nous longeons Ziret Lebeid (la dune du
serviteur) avant de nous jeter, aveuglement, dans une vallée poussiéreuse et
parsemée d’embûches.
Emergeant
à peine de la brume nous aperçûmes au loin Asbâ Aratane (les doigts), cinq pics
dressés vers le ciel et qui ressemblent, à s’y méprendre, aux doigts d’une main.
La
voiture avance cahin caha dans un dédale de pierres, de gros cailloux et de
sable mou. La chaleur ne cesse de monter. Nous étouffons. Nous sommes au bord
de l’asphyxie. Ma tête me fait terriblement mal.
Mokhtar, enveloppé dans son turban noir, les
yeux rougis par la poussière et la soif, semble s’être résigné à son sort.
Mohamedou et Brahim discutent âprement. Echangent
des propos désagréables. Le ton monte.
La discussion s’envenime.
A
l’origine de cette dispute inopportune la volonté du guide d’imposer au chauffeur l’itinéraire à suivre, au
millième prés. La détermination de Brahim de rester souverain dans le choix des
passes, des raccourcis et des détours.
Mokhtar et moi, sommes déterminés à ne pas
nous mêler de la discussion. Advienne
que pourra.
De
fil en aiguille nous nous retrouvâmes dans une Akla (un océan de sable) parsemé
de combrétacées.
Notre objectif, les monts Imoudlan (les
bâtonnets), pointent à l’horizon. Ils sont encore loin les monts Imoudlan.
Notre vœu le plus pieux est de les atteindre avant treize heures dans l’espoir
de passer la journée dans un campement nomade. Un pari difficile, incertain.
La voiture se balance. Les secousses succèdent
aux secousses. Je serre les dents en proie à de vives douleurs.
Impossible de prendre des notes dans des conditions
pareilles. J’ai du mal à me concentrer. Encore des secousses et des secousses.
A
bout de nerf, je laisse tomber le carnet de notes et le stylo. Je n’en peux
plus.
Pourquoi prendre des notes de ce maudit
voyage ? Aurai-je d’ailleurs le temps, de retour à Nouakchott, si retour
il y aura, de faire le récit de cette aventure ? Je n’en suis pas sûr.
Alors pourquoi continuer ? J’hésite un moment, tiraillé entre la volonté d’abandonner
définitivement le projet de faire le compte rendu de ce voyage dans l’inconnu et
le désir d’en partager les moindres péripéties. La folie finit par l’emporter.
La
progression vers les monts Imoudlan est retardée par des difficultés de
terrain. Autour de nous rien que des rochers et du sable, des pics et des
dunes, des montagnes et des vallées.
A
bout de souffle, nous atteignons la plaine de Lehweidhé. C’est une plaine
immense recouverte, en cette année relativement pluvieuse, d’une espèce de
graminée tendre : Lehweidhé. Une herbe qui, aux dires des pasteurs
rencontrés, contiendrait des substances psycho actives.
Deux
chamelons, des délinquants sans doute, bien dissimulés derrière des épineux,
prennent un malin plaisir à en consommer. Ils l’arrachent littéralement du sol
dans un bruit sec et l’écrasent impitoyablement à l’aide de leurs puissantes
molières.
A
en juger par leur agitation ils seraient déjà sous l’effet euphorisant de cette
drogue du désert non encore répertoriée.
Encore
quelques kilomètres et nous voilà arrivés aux monts Imoudlan.
Nous promenons le regard à la recherche d’un campement.
A mes maux de tête est venue s’ajouter une faim de loup.
Mokhtar
et Brahim sont épuisés. Le guide n’est pas au meilleur de sa forme. Son dos le
fait souffrir. Des courbatures héritées sans doute des nombreux voyages
effectués, au cours des trente dernières années, avec des touristes en quête de
sensations fortes.
L’inquiétude se lit sur les visages, la
fatigue aussi. Nous tentons néanmoins de
rester calmes.
Où peuvent bien se cacher ces nomades ? Derrière
ces monts infranchissables ? Au milieu de ces dunes géantes ? A
l’abri de ces bosquets ?
Nous
avons la certitude qu’ils ne sont pas loin. Sur le sol nous avons décelé des traces récentes de troupeaux de chèvres et
de chameaux. Des traces de pas sur le sable. La preuve irréfutable d’une
présence humaine.
Soudain,
Mokhtar aperçut au loin des tentes nichées au cœur d’un petit bois. Nous sommes
sauvés. Provisoirement tirés d’affaire.
En route vers les tentes nous croisons un
jeune garçon, d’une dizaine d’année tout au plus et déjà investi de la lourde
responsabilité de rechercher, dans ce désert sans fin, des chamelles égarées.
Nous lui offrons ce que nous avons de plus
précieux, quelques gorgées d’eau chaude. Et le voilà reparti vaillamment sur
les traces de ses chamelles.
Mme
…F et ses trois filles nous réservent un
accueil plutôt cordial, sympathique.
Mohamedou
connaît la famille, un atout indéniable dans ces contrées isolées. On nous
offre du thé et du lait.
En guise de déjeuner, le guide propose à notre
hôte de nous prépare la kesré, une galette de blé moulu, dont les nomades ont
le secret. J’acquiesce machinalement. Sans savoir de quoi il s’agit. Je me serai contenté d’un morceau de pain
sec.
Mokhtar et Brahim s’endorment aussitôt épuisés
par la fatigue, la soif et la chaleur.
De
la causerie que j’engage avec nos hôtes, j’appris que leur père, un pasteur
accompli, était absent depuis trois semaines. Il est parti à la recherche de
quelques chamelles égarées. Son absence pourrait durer des semaines. Des mois.
Ses
trois filles, assises sagement à coté de moi, ont fréquenté pendant quelques
années l’école primaire d’Aioun, une cité de l’Est mauritanien.
Leur scolarité a duré juste deux ans. Elle a été
interrompue sur décision de leur père.
« C’est une décision très sage »
m’explique leur maman. Leur père les voulait à ses cotés. Dans ce désert il
peut leur procurer, en toute saison, de la bonne viande, du lait de chamelle et
de brebis, de la crème fraîche, des galettes, une vie simple, paisible et agréable.
L’expérience
d’Aioun a été franchement éprouvante, décevante, catastrophique».
Pendant
que leur mère m’expliquait, le plus simplement du monde, les raisons profondes
qui ont poussé le père à retirer ses filles de l’école, ces dernières
échangeaient entre elles des regards malicieux. Elles préparaient leur défense
tout en prêtant une oreille attentive à la conversation.
«Notre
mère a raison», s’empressa de dire l’une d’elle. Et de rajouter : «Ici
nous ne manquons de rien mais cette vie n’est pas la nôtre.
Dans ce désert sans limite les journées et les
nuits sont longues et monotones. Notre
vie se résume à des déplacements incessants d’un point du désert à un autre en
quête de pâturages. Un mois au pied d’un pic, un autre au milieu de dunes
géantes, quelques semaines dans le creux d’une vallée perdue. Nos seuls
compagnons sont les bêtes. Ces dernières, elles, ont la possibilité d’aller et
de venir.
Pour
des filles de notre âge le désert est une prison. Il nous arrive souvent de pleurer
en cachette. Partout ailleurs les filles vont à l’école, travaillent, s’amusent».
Leur
mère écoute sans réagir. Surveille mon regard pour y surprendre la moindre
expression. Je reste de marbre. J’écoute et je prends note.
Un
peu touchée par les propos poignants de ses filles, la mère prend un ton
conciliant : « Mes filles ont raison de parler ainsi. Je les
comprends mais dites vous bien que leur père et moi les aimions plus que tout
au monde.
Elles sont notre raison d’être. Nous avions
certes mis fin à leurs études. Nous pensons avoir agi dans leur intérêt car la
ville ne nous inspirait pas confiance.
On
avait peur pour nos filles. Là bas les gens sont sournois, agressifs et
égoïstes.
La
ville est un monde à part. Ses habitants n’ont pas le temps de savourer la vie.
Ils sont stressés et prisonniers d’une
certaine manière de vivre. Ils sont
débordés par la recherche permanente de solutions à des problèmes
insolubles : loyer, taxis, factures d’eau et d’électricité, ordonnances, taxes et impôts, conflits avec
les voisins, vacarme, ordures ménagères,
vol...
Les
habitants du désert par contre sont des gens libres comme le vent. Ils ne
connaissent pas le stress. Ils profitent de chaque instant de la vie. Mieux,
ils ont cette particularité de pouvoir partager tout ce qu’ils possèdent avec le premier venu :
thé, lait, eau, viande, bonne humeur…
Le désert, pour nous autres pasteurs, est un
havre de paix. Un endroit merveilleux.
Notre souhait le plus ardent est de transmettre, à nos filles, cet amour
du désert et de la liberté».
Je
ne trouvais rien à répondre.
Quinze
heures vingt minutes. Nous prenons congé de M…
Je
revois encore, avec un pincement au cœur, s’agiter en signe d’adieu, les mains
frêles de ces jeunes filles contraintes de perpétuer un mode de vie d’un autre
âge.
Un
vent chaud et sec souffle de l’Est transformant la plaine en un brasier géant.
Les monts Tibetchine (les aigles) pointent à l’horizon.
Nous
reprenons notre traversée, la peur au ventre. La mère des jeunes filles nous avait
prévenu : «Il n’y a pas âme qui vive sur un parcours de cent
cinquante kilomètres. Vous allez traverser un territoire très escarpé et
parsemé d’embûches. Vous devez coûte que coûte atteindre le puits de Tinigar
avant la nuit ».
Nous
nous enfonçons dans Magtâ Assabay (la passe des combrétacées), une cuvette boisée et pierreuse. De là nous nous
dirigeâmes ensuite vers la pointe sud d’Anji.
Des gazelles troublées par notre présence, sur
un territoire qu’elles ont toujours considérées le leur, détalent en direction
des montagnes.
Nous traversons Magtâ Aharrane (la passe du paresseux) puis Magtâ Edhib (la passe du chacal).
Cette
dernière a servi des années durant d’aérodrome secret pour l’armée française.
De vieux pasteurs de la zone se souviennent
encore de ces aéronefs qui s’y posaient régulièrement, au début des années
cinquante du siècle dernier pour débarquer des vivres, des équipements, des armes
et des minutions.
De là, les cargaisons étaient acheminées, sous bonne escorte, vers une
garnison installée à coté du puits de Tinigar.
Quelle mission spéciale était dévolue à cette
base des forces d’occupation ? L’interception
et la poursuite des rezzous ? L’expérimentation d’armes sécrètes ? La surveillance des prétendues livraisons
d’armes à l’Armée de Libération de l’Algérie ?
Je
laisse aux historiens le soin de répondre à ces questions.
Après Tinigar nous passons à quelques
encablures de Boumhaya (le mont de l’antilope) et du pic de Lemmeylichiye
(l’imprenable). Une demi-heure plus tard nous traversons Mengâ Atila (le
marécage du maerua crassifolia), la vallée des Imoughlane (les hies) et
Grayvatt Legre (les rochers des fourmilières).
Dix
sept heures. Nous nous arrêtons pour la prière de l’Asr. Mokhtar, l’air grave
mais toujours calme et disponible, profite de l’arrêt pour faire le plein des
bidons d’eau. La nuit était proche. Brahim nettoie ses lunettes dans un froncement
de sourcils.
Encore une nouvelle passe difficile et des
secousses en perspective. Du jamais vu jusqu’ici. Des blocs de granite énormes.
Des rochers noirs rongés par les intempéries, des cailloux de toutes
dimensions, des amas de pierres et des bancs de sable.
Des
deux cotés de ce paysage lunaire se dressent deux montagnes géantes entourées
de ravins profonds. Notre véhicule a beaucoup de mal à se dégager de ces
obstacles.
A la sortie de Legtatir (les sources) et de
Nouaguentour (la grotte du vent) nous tombâmes sur des huttes abandonnées. Des
abris de fortune recouverts de chaume qui servent de campement saisonnier aux
caravaniers se rendant à la saline de Tinigar.
Après
la saline, nous nous attaquons à une nouvelle passe recouverte de gros cailloux
noirs.
La voiture tangue, se balance dangereusement
au point de se renverser, tremble, vibre, saute. Une ascension lente et
périlleuse.
Passés les premiers obstacles, nous voilà
victimes d’une crevaison. Il ne manquait plus que cela.
Avec
le peu de force qui lui restait Mokhtar s’empressa d’aider le chauffeur à
changer la roue. A nous tirer le plus vite possible de ce mauvais pas.
Assis à califourchon sur une grosse pierre, mon maudit carnet de
notes à la main, je les regarde faire en proie à une terrible migraine. Ma vue
est brouillée. J’ai du mal à me concentrer. Mohamedou récite des prières. Invoque
tous les saints de Tichitt.
Dix
huit heures et vingt minutes. La nuit est tombée depuis un quart d’heure. On
s’arrête pour la rupture du carême et la prière du crépuscule.
Mokhtar et Brahim dégustent une poignée de
dattes de Tichitt offerte par le guide et boivent quelques gorgées d’eau. Je
leur prépare un thé rapide, sans saveur. Le plus mauvais de l’histoire de cette
boisson.
Mokhtar n’en boit pas depuis le début du
Ramadan. Brahim et Mohamedou en consomment sans modération.
Soudain
notre guide se sentit mal. Un malaise violent et inexplicable. Une quinte de
toux et des éternuements. Il tousse et éternue sans arrêt. Il n’arrête de
tousser et d’éternuer. « C’est à cause du froid » dit-il ! Chose
curieuse, mon thermomètre affichait 36
degrés.
Après
la séance de thé et le prompt rétablissement de Mohamedou nous décidons de nous
déployer sur un rayon de cinq cents mètres autour du véhicule dans l’espoir de
surprendre le moindre signe de présence humaine. En vain.
Nous
remontons en voiture pour rééditer la même expérience deux kilomètres plus
loin. Sans résultat.
La
troisième tentative fut concluante. Un chien aboya à une centaine de mètres de
la voiture !
Guidée
par les aboiements du carnassier nous nous retrouvons l’instant qui suit devant
une petite tente de toile dressée entre des falaises.
Le maître des lieux, un sexagénaire affable et
courtois, s’empresse de nous souhaiter la bienvenue.
Après le traditionnel thé, la petite famille
du vieillard : deux fillettes âgées de sept et dix ans et un jeune garçon robuste et agile nous servirent du mouton rôti puis du riz à la viande arrosé de beurre rance. Un très bon riz. On n’en avait pas mangé
depuis notre départ de Tichitt.
Après le dîner, je pris congé de mes hôtes et je m’installais
à l’écart pour me reposer. Pour mettre de l’ordre dans mes notes. Pour gérer ma souffrance en cachette.
Mercredi
26 octobre 2005. Six heures du matin. Nous fûmes nos adieux à ce pasteur
providentiel avant de reprendre notre marche sur Walata. Nous tentons
maladroitement de remettre à notre hôte,
le prix du mouton. Il opposa un refus
poli mais ferme à notre proposition se contentant d’accepter un présent modeste.
Un simple verre à thé.
Six
heures quarante cinq minutes. Nous reprenons la route. Nous roulons sur un
plateau pierreux avant de nous engager dans Bahguett Assabay (la clairière des
combrétacées).
Nous
dépassons le marigot de Toubghoum (la profonde), ses cuvettes verdoyantes et ses
merveilleux paysages.
La dorsale d’Anji, qui s’étire à l’infini sur
notre gauche, semble surveiller notre progression sur un territoire qu’elle
domine depuis la nuit des temps.
Notre descente sur la plaine de khreibga (le
damier) se passe sans encombre.
J’en
profite pour contempler Ras El Khanouva (la pointe de la trompe), l’extrémité
sud d’Anji. C’est la partie la plus haute de la chaîne.
Les Nemadis projettent de s’y réfugier le Jour
du Jugement Dernier. Ici, pensent-ils, rien ne viendrait troubler leur
quiétude.
Nous
dépassons cet endroit mythique pour mettre le cap sur les plus beaux monts de la contrée
d’Anji : Khneg Lemhar (les cols des gazelles) et la mare de Kedama.
Nous
traversons la région de Lehneikatt (les mâchoires) avant de nous arrêter au
puits d’Oujav.
Ce dernier est foré au pied d’un petit
monticule. Sa margelle et ses bassins sont dans un piteux état et menacent de
s’effondrer à tout moment. Apparemment, il n’a bénéficié d’aucune réfection
depuis des décennies.
Sur place nous rencontrons des bergers venus
abreuver un grand troupeau de chameaux.
Mohamedou les supplia de lui traire une
chamelle. Ils n’en firent rien.
Je
profite de l’arrêt pour préparer un thé, un mauvais thé bien entendu. Les
bergers, agglutinés autour de notre véhicule, acceptent de le partager avec moi
sous l’œil inquisiteur de Mohamedou.
Nous
prenons le soin de compléter notre provision d’eau au puits d’Oujav. Une
précaution utile.
Après
Oujav, nous traversons les vestiges d’un village antique : Kseir Namouss
(le hameau des moustiques).
Sur une superficie d’environ quatre cents
mètres carrés on pouvait compter plus d’une centaine de tombes anonymes. Des
amas de pierres.
Aux dires des nomades rencontrés, les
habitants de Kseir Namouss auraient été emportés par la malaria.
Qui
étaient-ils ? De quoi vivaient-ils ? En quelle date la maladie a
t-elle décimée la population de ce hameau ? Une énigme.
Sur
notre route nous passons à coté d’une autre saline, Vraikika (la bruyante).
Comme
sa sœur jumelle, Tinigar, elle regorge d’eau.
Quelques
kilomètres plus au sud nous croisons un campement nomade en transhumance. Notre
guide alla à sa rencontre pour obtenir du lait de chamelle. Il revint bredouille.
Chemin
faisant, nous longeons les monts Khachm Essedre (le museau du Ziziphus
muratianas), Dakhlett Tajirarett (la baie), Affam El
Kebchiyatt (les portes des béliers) et legleib Lazrag (le monticule bleu).
A partir
de Khachm Essedre les pâturages, jusque là abondants et verdoyants, firent
place à un paysage désolé. Une vallée dénudée et des épineux squelettiques,
éprouvés par une longue période de sécheresse.
Nous observons un bref arrêt pour donner à
boire à trois gamins conduisant un troupeau de brebis vers le nord.
A
la hauteur de Legleib Lazrag nous croisons un convoi de touristes européens en
route vers Tichitt. Nous échangeons des salamalecs puis les deux Toyota d’Adrar
Voyages disparurent dans un nuage de poussière.
Sur
notre droite nous aperçûmes au loin la lisière de l’Aouker, une mer de sable où nul n’ose s’aventurer.
Tagourarett,
notre prochaine étape, est encore loin.
La
voiture se faufile tant bien que mal entre des bancs de sable mouvants. Nous
franchissons Galb Graviv (le mont des hyènes), un mont géant en forme de
dinosaure. La chaleur est torride. Insupportable. Des bancs dunaires retardent
notre progression.
Epuisés,
le corps en sueur et le morale au plus bas nous arrivons enfin au puits de
Tagourarett. Là Mohamedou réussit à obtenir un litre de lait de chamelle en
échange d’un kilogramme de sucre. Sur place nous tentons de payer un
mouton mais le prix est hors de portée.
Nous
traversons sans encombre, Egdett Lemina
(le bosquet), une grande vallée boisée. Au loin apparurent Galb Lemsadir (le
mont de la corvée d’eau) et Galb Owk Letaach (le mont de la soif). Puis, tout
au fond de la vallée émergèrent, de la
brume, Leyoun El Khedher (les sources bleues).
A
Taref Esbou (le pic du doigt), nous
réussissons à payer un mouton à des nomades en transhumance.
Nous leur offrons de l’eau et un paquet de
biscuit à l’unique enfant du groupe, une fillette malingre de quatre ans
environ.
Douze
heures et quart. Nous dépassons Taref Lemreyé (le pic du miroir) avant de nous
attaquer à Zirett Nassekha (la dune du clone) puis à Edkhaylett de Soumbara (la petite baie), une cuvette
prise en étau entre deux collines.
Treize
heures. Le soleil est au zénith. Nous décidons de nous arrêter pour la pause
déjeuner. L’endroit est superbe. La
Batha d’El Mechthar (le marigot réputé). De gros arbres
touffus. De l’ombre. Du sable fin. Le gazouillis des oiseaux. Le parfum
bienfaisant des acacias en fleurs.
Mokhtar et Brahim préparent leurs couchettes
et s’endorment aussitôt.
Légèrement
rétabli de ma migraine de la veille mais encore abattu et à bout de force je
tente d’aider Mohamedou à dépecer le mouton et à préparer le méchoui.
Une
longue caravane transportant du sel passa à coté de nous sans s’arrêter. Elle
vient probablement de la saline voisine de Tagourarett et se dirigerait vers la
ville malienne de Léré.
L’instant
d’après un jeune dioula, conduisant un troupeau de chèvres au marché de Walata,
accepte timidement de partager notre repas.
Quinze
heures cinquante. Nous reprenons la route.
Une
piste sinueuse et sablonneuse. Nous traversons un petit hameau serein, Galb
Ejmel (le mont du chameau). Une bourgade fondée au début du siècle dernier par des Massna, des Chérifs et des Oulad
Bella, des tribus originaires de Tichitt.
Au
fil des ans, ces sobres migrants ont réussi à reproduire, au creux d’une vallée
balayée par les vents et cernée de toutes parts par de hautes collines, la Tichitt de leurs origines.
Après
Galb Ejmel, nous passons à coté de la cité historique de Touézeght. Walata n’est
plus qu’à quatre kilomètres. Nous jubilons.
Sur les visages meurtris de mes compagnons de
route, l’inquiétude cède la place à la joie.
Dix
sept heures trente. Nous y sommes enfin.
Walata est à nos pieds. Je la reconnais
à peine.
La
petite cité historique s’est beaucoup métamorphosée depuis mon dernier passage
en 1993.
De nombreuses maisons ont été restaurées. Des
auberges ont fleuri un peu partout.
Une
centrale électrique et un réseau de distribution d’eau ont été construits.
Le
visage de Mokhtar s’illumine. Brahim nettoie ses lunettes d’un geste machinal
et les range soigneusement dans leur étui. Mohamedou arbore un sourire de
satisfaction. Il a rempli son contrat.
A
Walata, Mokhtar et moi sommes chargés d’étudier la possibilité d’installer un
relais pour la rediffusion en FM des
programmes de Radio Mauritanie. Mais ceci c’est une autre histoire.
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