22 أكتوبر 2013

يوميات رحلة من تيشيت إلى ولاته....

توصلت السلطة الرابعة بمجموعة كتابات للصحفي الكبير محمد عبد الله بزيد.. كان قد نشر منها جزء في بعض المواقع.. و ننشر في البداية رحلة قام بها الكاتب بين تيشيت و ولاته... دون فيها يوميات هذه الرحلة و أهم مشاهداته فيها..
و سنقوم بنشر الرحلة في البداية بنصها الأصلي باللغة الفرنسية على أمل ترجمتها لاحقا إلى اللغة العربية...





     Mardi 25 octobre 2005. Trois heures trente minutes. Mohamedou, guide de profession, la cinquantaine bien sonnée, vint me réveiller.

Recruté quatre heures plus tôt pour me conduire de Tichitt à Walata, il a tenu sa promesse. Nous avions convenu de quitter la cité historique à cette heure tardive de la nuit.

Moktar, l’ingénieur de l’équipe et Brahim, le chauffeur de notre voiture de location, se lèvent presque en même temps que moi.

 Epuisés par le voyage de la veille entre Tidjikja et Tichitt, un tronçon redouté par les concurrents du Dakar, nous avions du mal à émerger de notre profond sommeil.

Encore mal réveillés nous nous traînâmes, d’un pas mal assuré, vers la voiture parquée à cent mètres de là. Un dernier et ultime contrôle. Les bidons d’eau étaient presque pleins, la réserve de carburant était là, le matériel de thé aussi.

 Trois heures quarante cinq. La voiture démarre. Direction Walata.  L’obscurité est totale. Un vent léger souffle de l’Est soulevant une fine poussière.

Nous traversons la palmeraie en direction de l’aéroport. Pas une lumière. Pas un bruit. Tichitt dort.

 Sur notre gauche, un rideau noir obstrue l’horizon. C’est le Dhar de Tichittt. Un plateau de moyenne altitude délimitant la grande cuvette latérite dans laquelle nous progressons.
  
Au bout d’un quart d’heure, nous voilà à une dizaine de kilomètres du point de départ. Première surprise : un troupeau de vaches, dérangé par notre irruption subite, se mit à courir dans toutes les directions.
 
Une piste sinueuse croisa la nôtre. Brahim hésite un instant. « Ce n’est pas la bonne, avance  » lui dit le guide, imperturbable.

  Cette piste, je l’appris plus tard, mène à Chebka (le filet), un village créé récemment par les Nemadi, ces légendaires chasseurs nomades de l’Est mauritanien.

 Réduites à la misère depuis que l’addax, la biche Robert et l’autruche ont fui ces contrées devant la raréfaction de l’eau, l’absence de pâturages et  l’intensification du braconnage, les communautés Nemadis vivent les moments les plus difficiles de leur existence.

Finies les longues traques du gibier avec la complicité des lévriers.

Finies les veillées au clair de lune au cours desquelles les hommes prenaient un réel plaisir à raconter aux femmes et aux enfants  leurs exploits de chasse.

Finie enfin la fierté d’une communauté humaine restée, jusqu’au milieu des années soixante du siècle dernier, insoumise, mystérieuse et relativement prospère.  

Contraintes d’abandonner le mode de vie ancestral certaines familles Nemadi, la mort dans l’âme, sont venues grossir les bidonvilles des cités situées en bordure du grand Sahara mauritanien : Tichitt, Walata, Chinguitti, Ouadane, Zouératt…

D’autres moins nombreuses, indécises et désemparées, sont restées sur place. Elles ont fondé de petites colonies miséreuses desseminées dans  le désert  à l’image du hameau de Chebka.
  
La voiture continue d’avancer péniblement. Mes compagnons de route ne disent plus un mot. Cramponnés à leurs siéges ils méditent en silence,  le regard évasif, la tête ailleurs.

Soudain apparut devant nous un mont, Ajenjeil. Un pic superbe. C’est dit-on le gardien infatigable de la cité d’Aghreijitt, la sœur jumelle de Tichitt.

Aghreijitt, notre première étape sur la route de Walata. Vingt cinq minutes d’arrêt.

 Mohamedou  profite de ce laps de temps pour remettre des colis à des familles du village. Dans l’obscurité j’ai du mal à me faire une idée exacte des lieux.

 Profitant des phares du véhicule j’aperçus, l’espace d’un instant, un tas de petites maisons en pierres puis, tout au fond de la vallée, des palmiers épars croulants sous le poids des dunes.

 En dépit de l’heure tardive, des villageois, tirés de leur sommeil par le bruit du moteur, vinrent à notre rencontre.

Serrés les uns contre les autres comme pour se soutenir et se tenant par les mains, ils nous regardent fixement. Ils nous dévisagent. Commentent à voix basse. Sourient.

Les plus téméraires viennent se coller à la voiture. D’autres préfèrent s’amuser avec les rétroviseurs extérieurs. Un groupe d’hommes et de femmes reste en retrait.

 J’achète, dans une petite boutique, du thé vert et du sucre à des prix ne pouvant défier aucune concurrence. Mes compagnons, eux, complètent la provision d’eau au puits d’Aghreijitt, un puisard  aménagé au milieu de la palmeraie.

A la sortie de ce village paisible nous nous engageons dans un col difficile, un passage obligatoire et dangereux. Des bancs de sable mou et des rochers.

Nous nous faufilons
Tout prés de nous, apparut Trayeg (la piste) de Mohamed Nave qui conduit, dit-on, à une portion de ce désert inhospitalier où l’on peut ramasser, au milieu des vestiges de cités sahariennes disparues, des pierres précieuses.

L’envie d’y faire un tour me traversa l’esprit. J’ai toujours rêvé de ramener un jour, à ma fille Nebila, une pierre précieuse.

Mes fréquentes traversées du désert ne m’ont pas donné l’occasion de concrétiser ce rêve.

 Les difficultés de terrain et le risque  de nous retrouver les quatre roues en l’air me dissuadèrent d’aller tenter ma chance.

  Nous roulons depuis une demi-heure en direction de Toueyjinitt (la plaine ocre), un point d’eau lointain.

Il fait encore nuit. Brahim s’en sort bien malgré les difficultés du terrain. Il arrive à se dégager des piéges que constituent les bancs de sable et ne manque pas une occasion pour nous rappeler qu’il a affronté des situations plus difficiles.

 Personnellement je ne le crois pas mais je me garde bien de le lui dire.
Mokhtar récite des prières et jette de temps à autre un regard anxieux sur le paysage monotone qui s’étend devant nous. Mohamedou raconte des souvenirs de voyages, effectués entre Tichitt et Walata, en compagnie de touristes européens.  Une manière de nous rassurer.

Une lampe torche à la main gauche et un stylo à la main droite j’essaie de prendre des notes comme je peux. A la moindre secousse mon carnet de notes, tenu sur mes jambes, tombait à mes pieds. Je m’empressais de le reprendre sous le regard amusé de Brahim.
A la pointe de l’aube nous arrivons à Graret Levrass (la prairie de la jument). Difficile de s’imaginer que cette cuvette ovale et caillouteuse, balayée par l’harmattan, fut un jour une prairie.

  Six heures. Nous décidons de nous arrêter pour la prière du Sobh (le matin).
 Au loin se profilent les contours brumeux des monts Merzak (l’antre) et Ntaviyyat (les priodontes). Tout au fond, une dune gigantesque, Ziret El Id (la dune de la fête).

 Six heures vingt minutes. Nous nous engageons dans la passe abrupte d’Affam Lekhreizatt (les portes des cols) pour descendre dans  Wad Ervayeg (la vallée des caravanes).

Sur la droite apparut, à l’horizon, un nouveau pic, Cheg El Khail (la passe des chevaux). Plus loin encore émergea un nouveau monticule, Glaib Erkayez (le monticule des mâts) et tout au fond une immense saline, Toueyjinitt.
Nous y sommes enfin.

J’ai toujours pensé que ce nom désignait une oasis prospère ou tout au moins un petit village saharien où il faisait bon de vivre.  Il n’en est rien.

Toueyjinitt est un hameau perdu situé à soixante dix kilomètres à l’Est de Tichitt. On y dénombre peu d’habitations. Six à sept petites maisons de terre délabrées. Sur le toit d’une chaumière nous fumes surpris de voir,  flotter au vent, une antenne filaire. Une fausse note dans ce bled reculé.

 Pour rester en vie, pour garder le contact avec les habitants de la planète terre,  les Toueyjinittois entrent chaque jour en communication radio avec la préfecture de Tichitt. Une liaison qui n’a pas de prix.

A l’orée du village s’étend une ancienne saline du désert mauritanien. On en extrait, bon an mal an, huit cent à mille deux cents tonnes d’Amersal. Un sel de qualité médiocre destiné exclusivement à l’alimentation du bétail.

Des caravanes continuent de l’acheminer, à dos de chameau, vers les marchés de Timbédra, Néma, Walata et  Bassiknou (en Mauritanie) et de Léré, Niono et Ségou (au Mali). Une tradition millénaire qui se perpétue.

Nous décidons  de faire une halte à l’Est de Toueyjinitt, le  temps de prendre un thé dans un campement nomade situé à la périphérie de la saline.

 Mohamedou et moi-même avions besoin d’un thé à la menthe. D’un thé tout court. Mokhtar et Brahim font le carême. Des durs.
Au campement l’accueil est plutôt sympathique. On nous offre du lait de brebis en guise de petit déjeuner. J’en raffole. Le guide aussi a l’air de l’apprécier autant que moi. Je dirai même un peu plus.

 La séance de thé commence et avec elle une petite causerie à bâtons rompus.
 Le patriarche de la communauté, un vieil homme de haute taille, le visage émacié, le nez aquilin, le corps frêle et la chevelure grisonnante vint s’installer à coté de moi.

 Encouragés par ce geste les femmes et les enfants en font autant. La discussion s’anime. Ensemble nous essayons de satisfaire la curiosité maladive de nos hôtes. L’épreuve consistait à répondre à de nombreuses questions : d’où venons-nous ?  Où allons-nous ? Quel  est le but de notre voyage ?  Avions-nous rencontré des difficultés ?  Connaissons-nous la zone ? A quelles tribus appartenons-nous ?…

 Soudain, sortant de je ne sais où, surgit un jeune homme soigneusement enveloppé d’une couverture épaisse. Il était en sueur et tremblait de tout son corps. «Quelqu’un parmi vous a-t-il de la nivaquine ? » dit-il simplement. Il était en proie à une forte fièvre.

 Prompt à réagir, notre guide alla tirer de son sac de voyage un sachet. Il le tendit au malade dans un geste de triomphe. «Tenez, ces médicaments sont efficaces pour le traitement de la fièvre, des maux de tête, des courbatures, des migraines, des douleurs de l’abdomen et de la vessie, bref un remède à tout ».

Pendant que notre guide, qui se découvrait soudainement des talents de toubib émérite, vantait les vertus de ses médicaments le pauvre malade ne cessait de hocher la tête et de se confondre en remerciements.

 Je m’apprêtais à placer un mot lorsque le malade ouvrit le sachet, fit glisser cinq à six comprimés dans la paume de sa main rugueuse et les avala d’un trait. La scène se passa très vite. Mes compagnons et moi n’avions pas eu le temps de réagir.

Dans mon ébahissement, je ne pouvais détacher mon regard du visage du malade. Un visage marqué par la souffrance. Sur son front marqué par la douleur dégoulinaient de grosses perles de sueur.

 Je me sentis mal à l’aise à mon tour. Quelque chose me disait qu’un drame allait survenir. Que le malade allait s’écrouler.  

 Quels genres de dragées  le guide a t-il donné à ce pauvre nomade ? Pourquoi l’avons-nous laissé faire ?  Que faire en cas de détérioration subite de l’état de santé du malade ? Quelle sera, dans ce cas, la réaction de nos hôtes ?  Des tas de questions qui se bousculaient dans ma tête et auxquelles je ne trouvais la moindre réponse.

Très vite, mes craintes se dissipèrent. Celui que je croyais au bord de l’agonie se mit soudain à raconter des histoires, à plaisanter, à poser des questions comme tout le monde. Un miracle. J’étais soulagé. Délivré.

Momentanément rassuré, je repris ma conversation avec le patriarche du campement. Celui-ci me demanda si j’avais, par hasard, des nouvelles d’un frère qu’il a perdu de vue depuis… soixante dix ans!

 « Aux dernières nouvelles il vivait dans un village situé sur la frontière bissau-senegalaise, était marié et avait deux enfants ».   

   Ne disposant pas des informations qu’il souhaitait obtenir je lui suggérais d’envoyer l’un de ses fils à la recherche du frère disparu.  

En réaction à  ma proposition il se contenta de répondre tout simplement :

 « Mes fils n’ont jamais quitté ce désert. C’est d’ailleurs le cas de tout le monde ici. Nous sommes attachés à notre terre. Moi seul j’ai effectué un grand voyage il y a de cela quarante neuf ans. J’ai voyagé en avion entre Tichitt et Nouakchott.

Cela peut vous paraître drôle. Peu importe. J’étais à Tichitt lorsqu’un avion s’est posé sur la piste. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il était venu chercher.

 Au moment où il s’apprêtait à reprendre les airs un homme est apparu à la porte et a crié à haute voix : tous ceux d’entre vous qui désirent visiter Nouakchott  peuvent embarquer gratuitement.

Poussé par je ne sais quelle force intérieure je sautais  à bord de l’appareil en compagnie d’un notable de la ville. Trois heures plus tard je débarquais à Nouakchott sans but précis bien sûr, sans papiers, sans argent».

Il était fier de raconter cette histoire. Ses yeux brillaient de satisfaction. Il était tout bonnement heureux. L’histoire de ce voyage était une manière polie de nous faire comprendre que l’on pouvait rencontrer, à tout moment, dans ces contrées coupées du monde, des personnes ayant été en contact avec ce que l’on appelle pompeusement la civilisation. Une leçon.

La conversation tourna ensuite autour d’un célèbre guide de Néma, monsieur Nani, que j’ai eu l’honneur et le plaisir de connaître et d’apprécier. J’ai fait en sa compagnie un tour inoubliable du Hodh Charghi à la fin des années quatre vingt, lors de mes premières tournées avec la radio rurale.

Sept heures quarante cinq minutes. La pause thé est terminée. Nous quittons Toueyjinit pour l’étape suivante, Aratane, une zone montagneuse, située à la croisée des chemins  entre Tichitt et Walata.

 En cours de route le guide m’apprit que les habitants de Toueyjinitt sont installés sur ce bout de territoire depuis des générations.

 Ils vivent principalement de l’extraction du sel  et, dans une moindre mesure, de l’élevage. Une main d’œuvre bon marché pour les caravaniers.
  
Nous longeons les monts Aziwaz (les tordus)  puis le pic de Tenga (le mirador) avant de nous engager dans Vouj Errih  (la fente du vent). Je tressaillis. Mokhtar devint blême.

Une panne, le moindre faux pas et adieu la vie. Des montagnes poussiéreuses, des ravins profonds hérissés d’épineux rabougris, de hautes dunes de sable mouvant, des blocs de granite géants. Un paysage de Far West !

 Sur notre droite le Guentour (la grotte) de Ould Aboyd. Devant nous la cordillère d’El Hammoun, haute et imposante. Au loin  Goueratt Ettiziyaten (les pitons des sacs), des rochers pittoresques qui tentent désespérément de résister aux assauts répétés d’un sable conquérant.

Notre voiture avance péniblement. Son moteur rugit avec force au point de se fendre. Sa carcasse d’acier vibre au moindre effort. Ses roues sifflent au contact du sable mou.

A l’intérieur de la cabine, la température ne cesse de monter. La vallée se transforme petit à petit en une fournaise. Nous sommes en sueur. Mokhtar tripote son téléphone thuraya, notre seul lien avec le monde extérieur.

Mohamedou, le guide, s’est affaissé dans son fauteuil et ne dit plus un mot. Brahim, le chauffeur, n’arrête pas de nettoyer ses lunettes et de maugréer des mots inintelligibles.

 Je ne suis pas dans de meilleures conditions. Loin s’en faut. Je continue néanmoins à prendre des notes comme je peux. De griffonner, sur le papier vierge, des lettres et des signes n’appartenant à aucun alphabet connu.

A partir de Glaib Sfar (le mont jaune), un paysage généreux prend le dessus sur les maigres pâturages que nous venons de traverser. Ici la pluie a été bonne cette année.

 L’herbe tendre recouvre le sol à perte de vue. La maudite vallée de Vouj Errih n’est plus qu’un mauvais souvenir.

 Chemin faisant, nous côtoyons de petits campements nomades éparpillés sur un parcours d’une dizaine de kilomètres. Des tentes dressées par ci, par là.

 A la demande pressante du guide nous décidons de faire une halte. Mohamedou alla à la rencontre des nomades dans l’espoir d’obtenir une denrée, dont  il ne cesse de vanter les  bienfaits depuis notre départ de Tichitt, le lait de chamelle. Il obtint satisfaction.

 Au moment de reprendre la route un jeune berger, le visage et la tête recouverts aux trois quarts d’un turban noir, embarque avec nous. Il se rend, dit- il, au campement voisin.

Nous longeons  Ziratt Ergouga (les dunes des regs) puis Agneitiratt El Maqil (les grottes de la sieste).

 Le trajet est difficile, long, éprouvant. Une demi-heure encore et nous voilà arrivés à la hauteur de deux tentes isolées.

Le berger  sauta à terre et disparut aussitôt. Sans remercier. Sans prendre congé. Tout bonnement heureux d’avoir quitté ce cercueil motorisé errant sans but au milieu d’un océan de sable. Un océan témoin muet et complice de la disparition de milliers de voyageurs.

Quelques instants après nous nous retrouvons aux pieds des monts Idersan (les vases).

De là, nous nous engageons dans une cuvette rocailleuse s’étirant du nord au sud, Gté Enn Ama (la passe de l’autruche).

Neuf  heures et quart. Nous progressons davantage dans ce désert sans fin. Nous dépassons le mont Lekhweidem (la petite servante).

Mes paupières sont lourdes. Je résiste tant bien que mal au sommeil, au prix d’efforts surhumains.

 Au loin, apparut un superbe rocher juché au cœur d’une vallée splendide.
 « C’est le site de Makhrouga, une curiosité! » s’écria Mohamedou.

 Sur les hauteurs surplombant ce chef d’œuvre de la nature se dresse un autre monticule, le Mahsar (le congrès).

A en croire les populations locales, ce site fut le théâtre de batailles sanglantes. De scènes d’amour et de haine, de soumission et de révolte, de fidélité et de trahison.

 Des clans rivaux d’Awlad Mbarek, une des tribus guerrières de la Mauritanie, se sont battus à mort dans chaque coin et recoin de cette cuvette. Pour la conquête de la chefferie, pour laver un affront, pour venger un proche, pour un rien.

Tout en promenant le regard autour de moi,  je me surpris entrain de guetter les hourra des guerriers Oulad Mbarek rentrant au campement  après une dure bataille,  le hennissement strident de leurs chevaux pur sang, les rires moqueurs de leurs belles femmes, les poèmes épiques de leurs griots, les battements assourdissants de leurs tamtams. Des hallucinations.

 Makhrouga est  un endroit magique. C’est le site le plus magnifique de Khreizet Aratane  (la petite perle).

  En ce mois d’octobre 2005, l’herbe tendre y abonde. Les acacias, arrivés  à maturité à la faveur d’un hiver précoce, sont en fleurs.  Ils répandent, aux quatre coins de la vallée,  un parfum léger et bienfaisant.

 Les versants des montagnes, généralement brumeux et tristes en pareille saison, sont recouverts d’un tapis verdoyant. Un très beau paysage. Nous ne pouvions résister à l’idée de le contempler de plus prés.
        
Nous descendons de voiture malgré la chaleur et  la fatigue pour  nous diriger, comme attirés par un aimant, vers le centre de Makhrouga.

 Nous sommes là depuis un quart d’heure à admirer cette falaise. Elle a la forme d’un demi-cercle. Sur sa crête repose des rochers arrondis, de dimensions plus ou moins égales. Des statuettes ? Des divinités antiques ? Des météorites ? Impossible de savoir de quoi il s’agit.

 Un indien d’Amérique du sud se serait cru en présence d’un temple Inca, maya ou aztèque.

 Un bonze en quête de nirvana, de passage à Makhrouga, se serait prosterné devant ces petits Bouddha tellement la ressemblance est frappante.            
 A la base de la falaise mon regard s’attarde sur des creux, des orifices et des arêtes qui tapissent la paroi de la roche. Au centre, sur des mâts géants taillés dans la pierre. Tout au fond, sur des ouvertures latérales en forme de hublots qui donnent à la falaise la forme d’un bateau étrange voguant sur une mer clémente.

A l’extrémité nord du site se dresse un rocher haut d’une trentaine de mètres.

Au fil des ans les intempéries ont fini par le détacher de la falaise mère dont il continue de porter fièrement les marques et de partager le mystère.

 Boudeur mais élégant et fier il garde la tête haute et l’espoir de retourner un jour dans le giron familial.

Au pied du pic on peut admirer à loisir une grande roche volcanique de couleur noire, une espèce de tortue géante guettant une proie invisible.

Mes amis et moi sommes tirés de notre émerveillement par l’arrivée surprise de deux jeunes femmes portant chacune dans ses bras un enfant en bas âge.
  
« Ce sont les filles de A …S… »,  lança le guide.

 Leur mère est une femme réputée dans la zone. Sa spécialité, la vente d’objets d’art aux touristes de passage. Elle a l’habitude de s’installer à proximité de Makhrouga entre les mois d’octobre et de février, c'est-à-dire pendant la saison touristique.

Au sortir de Khreizet Aratane  nous passons à coté du mont Ezzek’h (l’étrange)  avant de nous engager  sur des terrains rocailleux, sablonneux, impraticables.

 Chemin faisant nous nous arrêtons à la mare saisonnière d’Aratane. Une mare du désert.  Elle regorge d’eau. Ne pouvant me retenir, je m’y rends pour me desalterer et me rafraîchir. L’eau est limpide. Elle coule  entre des rochers de granite.

 Sur les berges de la mare il n’y a pas la moindre trace de vie humaine.  Remis de ma fatigue après ce bain improvisé, je rejoignis mon équipe restée dans le véhicule.

Sur notre gauche apparut un mont : Bechnayer (le vertueux). Il abriterait les plus belles et les plus spacieuses grottes du désert mauritanien.

 Les  habitués de ces parcours se privent rarement d’y passer la journée.
 Nous longeons Ziret Lebeid (la dune du serviteur) avant de nous jeter, aveuglement, dans une vallée poussiéreuse et parsemée d’embûches.

Emergeant à peine de la brume nous aperçûmes au loin Asbâ Aratane (les doigts), cinq pics dressés vers le ciel et qui ressemblent, à s’y méprendre, aux doigts d’une main.

La voiture avance cahin caha dans un dédale de pierres, de gros cailloux et de sable mou. La chaleur ne cesse de monter. Nous étouffons. Nous sommes au bord de l’asphyxie. Ma tête me fait terriblement mal.

 Mokhtar, enveloppé dans son turban noir, les yeux rougis par la poussière et la soif, semble s’être résigné à son sort.

 Mohamedou et Brahim discutent âprement. Echangent des propos désagréables.  Le ton monte. La discussion s’envenime.

A l’origine de cette dispute inopportune la volonté du guide d’imposer  au chauffeur l’itinéraire à suivre, au millième prés.  La détermination de  Brahim de rester souverain dans le choix des passes, des raccourcis et des détours.

 Mokhtar et moi, sommes déterminés à ne pas nous mêler de la discussion.  Advienne que pourra.

De fil en aiguille nous nous retrouvâmes dans une Akla (un océan de sable) parsemé de combrétacées.

 Notre objectif, les monts Imoudlan (les bâtonnets), pointent à l’horizon. Ils sont encore loin les monts Imoudlan. Notre vœu le plus pieux est de les atteindre avant treize heures dans l’espoir de passer la journée dans un campement nomade. Un pari difficile, incertain.

 La voiture se balance. Les secousses succèdent aux secousses. Je serre les dents en proie à de vives douleurs.

 Impossible de prendre des notes dans des conditions pareilles. J’ai du mal à me concentrer. Encore des secousses et des secousses.

A bout de nerf, je laisse tomber le carnet de notes et le stylo. Je n’en peux plus.

 Pourquoi prendre des notes de ce maudit voyage ? Aurai-je d’ailleurs le temps, de retour à Nouakchott, si retour il y aura, de faire le récit de cette aventure ? Je n’en suis pas sûr. Alors pourquoi continuer ? J’hésite un moment, tiraillé entre la volonté d’abandonner définitivement le projet de faire le compte rendu de ce voyage dans l’inconnu et le désir d’en partager les moindres péripéties. La folie finit par l’emporter.

La progression vers les monts Imoudlan est retardée par des difficultés de terrain. Autour de nous rien que des rochers et du sable, des pics et des dunes, des montagnes et des vallées.

A bout de souffle, nous atteignons la plaine de Lehweidhé. C’est une plaine immense recouverte, en cette année relativement pluvieuse, d’une espèce de graminée tendre : Lehweidhé. Une herbe qui, aux dires des pasteurs rencontrés, contiendrait des substances psycho actives.

Deux chamelons, des délinquants sans doute, bien dissimulés derrière des épineux, prennent un malin plaisir à en consommer. Ils l’arrachent littéralement du sol dans un bruit sec et l’écrasent impitoyablement à l’aide de leurs puissantes molières.

A en juger par leur agitation ils seraient déjà sous l’effet euphorisant de cette drogue du désert non encore répertoriée.

Encore quelques kilomètres et nous voilà arrivés aux monts Imoudlan.

 Nous promenons le regard à la recherche d’un campement. A mes maux de tête est venue s’ajouter une faim de loup.

Mokhtar et Brahim sont épuisés. Le guide n’est pas au meilleur de sa forme. Son dos le fait souffrir. Des courbatures héritées sans doute des nombreux voyages effectués, au cours des trente dernières années, avec des touristes en quête de sensations fortes.

 L’inquiétude se lit sur les visages, la fatigue aussi.  Nous tentons néanmoins de rester calmes.

 Où peuvent bien se cacher ces nomades ? Derrière ces monts infranchissables ? Au milieu de ces dunes géantes ? A l’abri de ces bosquets ?

Nous avons la certitude qu’ils ne sont pas loin. Sur le sol nous avons décelé  des traces récentes de troupeaux de chèvres et de chameaux. Des traces de pas sur le sable. La preuve irréfutable d’une présence humaine.

Soudain, Mokhtar aperçut au loin des tentes nichées au cœur d’un petit bois. Nous sommes sauvés. Provisoirement tirés d’affaire.
 En route vers les tentes nous croisons un jeune garçon, d’une dizaine d’année tout au plus et déjà investi de la lourde responsabilité de rechercher, dans ce désert sans fin, des chamelles égarées.

 Nous lui offrons ce que nous avons de plus précieux, quelques gorgées d’eau chaude. Et le voilà reparti vaillamment sur les traces de ses chamelles.

Mme …F  et ses trois filles nous réservent un accueil plutôt cordial, sympathique.

Mohamedou connaît la famille, un atout indéniable dans ces contrées isolées. On nous offre du thé et du lait.

 En guise de déjeuner, le guide propose à notre hôte de nous prépare la kesré, une galette de blé moulu, dont les nomades ont le secret. J’acquiesce machinalement. Sans savoir de quoi il s’agit.  Je me serai contenté d’un morceau de pain sec.

 Mokhtar et Brahim s’endorment aussitôt épuisés par la fatigue, la soif et la chaleur.

De la causerie que j’engage avec nos hôtes, j’appris que leur père, un pasteur accompli, était absent depuis trois semaines. Il est parti à la recherche de quelques chamelles égarées. Son absence pourrait durer des semaines. Des mois.

Ses trois filles, assises sagement à coté de moi, ont fréquenté pendant quelques années l’école primaire d’Aioun, une cité de l’Est mauritanien.

Leur  scolarité a duré juste deux ans. Elle a été interrompue sur décision de leur père.

 « C’est une décision très sage » m’explique leur maman. Leur père les voulait à ses cotés. Dans ce désert il peut leur procurer, en toute saison, de la bonne viande, du lait de chamelle et de brebis, de la crème fraîche, des galettes,  une vie simple, paisible et agréable.

L’expérience d’Aioun a été franchement éprouvante, décevante, catastrophique».

Pendant que leur mère m’expliquait, le plus simplement du monde, les raisons profondes qui ont poussé le père à retirer ses filles de l’école, ces dernières échangeaient entre elles des regards malicieux. Elles préparaient leur défense tout en prêtant une oreille attentive à la conversation.
«Notre mère a raison», s’empressa de dire l’une d’elle. Et de rajouter : «Ici nous ne manquons de rien mais cette vie n’est pas la nôtre.

 Dans ce désert sans limite les journées et les nuits sont  longues et monotones. Notre vie se résume à des déplacements incessants d’un point du désert à un autre en quête de pâturages. Un mois au pied d’un pic, un autre au milieu de dunes géantes, quelques semaines dans le creux d’une vallée perdue. Nos seuls compagnons sont les bêtes. Ces dernières, elles, ont la possibilité d’aller et de venir.

Pour des filles de notre âge le désert est une prison. Il nous arrive souvent de pleurer en cachette. Partout ailleurs les filles vont à l’école, travaillent, s’amusent».

Leur mère écoute sans réagir. Surveille mon regard pour y surprendre la moindre expression. Je reste de marbre. J’écoute et je prends  note.

Un peu touchée par les propos poignants de ses filles, la mère prend un ton conciliant : « Mes filles ont raison de parler ainsi. Je les comprends mais dites vous bien que leur père et moi les aimions plus que tout au monde.

 Elles sont notre raison d’être. Nous avions certes mis fin à leurs études. Nous pensons avoir agi dans leur intérêt car la ville ne nous inspirait pas confiance.

On avait peur pour nos filles. Là bas les gens sont sournois, agressifs et égoïstes.
La ville est un monde à part. Ses habitants n’ont pas le temps de savourer la vie.

 Ils sont stressés et prisonniers d’une certaine manière de vivre.  Ils sont débordés par la recherche permanente de solutions à des problèmes insolubles : loyer, taxis, factures d’eau et d’électricité,  ordonnances, taxes et impôts, conflits avec les voisins, vacarme,  ordures ménagères, vol...

Les habitants du désert par contre sont des gens libres comme le vent. Ils ne connaissent pas le stress. Ils profitent de chaque instant de la vie. Mieux, ils ont cette particularité de pouvoir partager tout ce qu’ils  possèdent avec le premier venu : thé,  lait, eau, viande, bonne humeur…

 Le désert, pour nous autres pasteurs, est un havre de paix. Un endroit  merveilleux. Notre souhait le plus ardent est de transmettre, à nos filles, cet amour du désert et de la liberté».

Je ne trouvais rien à répondre.

Quinze heures vingt minutes. Nous prenons congé de M…
Je revois encore, avec un pincement au cœur, s’agiter en signe d’adieu, les mains frêles de ces jeunes filles contraintes de perpétuer un mode de vie d’un autre âge.

Un vent chaud et sec souffle de l’Est transformant la plaine en un brasier géant. Les monts Tibetchine (les aigles) pointent à l’horizon.

Nous reprenons notre traversée, la peur au ventre. La mère des jeunes filles nous avait prévenu : «Il n’y a pas âme qui vive sur un parcours de cent cinquante kilomètres. Vous allez traverser un territoire très escarpé et parsemé d’embûches. Vous devez coûte que coûte atteindre le puits de Tinigar avant la nuit ».

Nous nous enfonçons dans Magtâ Assabay (la passe des combrétacées), une  cuvette boisée et pierreuse. De là nous nous dirigeâmes ensuite vers la pointe sud d’Anji.

 Des gazelles troublées par notre présence, sur un territoire qu’elles ont toujours considérées le leur, détalent en direction des montagnes.

 Nous traversons Magtâ  Aharrane (la passe du paresseux) puis  Magtâ Edhib (la passe du chacal).

Cette dernière a servi des années durant d’aérodrome secret pour l’armée  française.

 De vieux pasteurs de la zone se souviennent encore de ces aéronefs qui s’y posaient régulièrement, au début des années cinquante du siècle dernier pour débarquer des vivres, des équipements, des armes et des minutions.

 De là, les cargaisons étaient  acheminées, sous bonne escorte, vers une garnison installée à coté du puits de Tinigar.

 Quelle mission spéciale était dévolue à cette base des forces d’occupation ?  L’interception et la poursuite des rezzous ? L’expérimentation d’armes sécrètes ?  La surveillance des prétendues livraisons d’armes à l’Armée de Libération de l’Algérie ?

  Je laisse aux historiens le soin de répondre à ces questions.

 Après Tinigar nous passons à quelques encablures de Boumhaya (le mont de l’antilope) et du pic de Lemmeylichiye (l’imprenable). Une demi-heure plus tard nous traversons Mengâ Atila (le marécage du maerua crassifolia), la vallée des Imoughlane (les hies) et Grayvatt Legre (les rochers des fourmilières).

Dix sept heures. Nous nous arrêtons pour la prière de l’Asr. Mokhtar, l’air grave mais toujours calme et disponible, profite de l’arrêt pour faire le plein des bidons d’eau. La nuit était proche. Brahim nettoie ses lunettes dans un froncement de  sourcils.

 Encore une nouvelle passe difficile et des secousses en perspective. Du jamais vu jusqu’ici. Des blocs de granite énormes. Des rochers noirs rongés par les intempéries, des cailloux de toutes dimensions, des amas de pierres et des bancs de sable.

Des deux cotés de ce paysage lunaire se dressent deux montagnes géantes entourées de ravins profonds. Notre véhicule a beaucoup de mal à se dégager de ces obstacles.   

 A la sortie de Legtatir (les sources) et de Nouaguentour (la grotte du vent) nous tombâmes sur des huttes abandonnées. Des abris de fortune recouverts de chaume qui servent de campement saisonnier aux caravaniers se rendant à la saline de Tinigar.

Après la saline, nous nous attaquons à une nouvelle passe recouverte de gros cailloux noirs.

 La voiture tangue, se balance dangereusement au point de se renverser, tremble, vibre, saute. Une ascension lente et périlleuse.

 Passés les premiers obstacles, nous voilà victimes d’une crevaison. Il ne manquait plus que cela.

Avec le peu de force qui lui restait Mokhtar s’empressa d’aider le chauffeur à changer la roue. A nous tirer le plus vite possible de ce mauvais pas.

 Assis à califourchon  sur une grosse pierre, mon maudit carnet de notes à la main, je les regarde faire en proie à une terrible migraine. Ma vue est brouillée. J’ai du mal à me concentrer. Mohamedou récite des prières. Invoque tous les saints de Tichitt.
 
Dix huit heures et vingt minutes. La nuit est tombée depuis un quart d’heure. On s’arrête pour la rupture du carême et la prière du crépuscule.

 Mokhtar et Brahim dégustent une poignée de dattes de Tichitt offerte par le guide et boivent quelques gorgées d’eau. Je leur prépare un thé rapide, sans saveur. Le plus mauvais de l’histoire de cette boisson.

 Mokhtar n’en boit pas depuis le début du Ramadan. Brahim et Mohamedou en consomment sans modération.

Soudain notre guide se sentit mal. Un malaise violent et inexplicable. Une quinte de toux et des éternuements. Il tousse et éternue sans arrêt. Il n’arrête de tousser et d’éternuer. « C’est à cause du froid » dit-il ! Chose curieuse, mon thermomètre  affichait 36 degrés.

Après la séance de thé et le prompt rétablissement de Mohamedou nous décidons de nous déployer sur un rayon de cinq cents mètres autour du véhicule dans l’espoir de surprendre le moindre signe de présence humaine. En vain.

Nous remontons en voiture pour rééditer la même expérience deux kilomètres plus loin. Sans résultat.

La troisième tentative fut concluante. Un chien aboya à une centaine de mètres de la voiture !

Guidée par les aboiements du carnassier nous nous retrouvons l’instant qui suit devant une petite tente de toile dressée entre des falaises.

 Le maître des lieux, un sexagénaire affable et courtois, s’empresse de nous souhaiter la bienvenue.

 Après le traditionnel thé, la petite famille du vieillard : deux fillettes âgées de sept et dix ans et un  jeune garçon robuste et agile  nous servirent du mouton rôti puis du  riz à la viande  arrosé de beurre rance.  Un très bon riz. On n’en avait pas mangé depuis notre départ de Tichitt.

 Après le dîner,  je pris congé de mes hôtes et je m’installais à l’écart pour me reposer. Pour mettre de l’ordre dans mes notes. Pour  gérer ma souffrance en cachette.

Mercredi 26 octobre 2005. Six heures du matin. Nous fûmes nos adieux à ce pasteur providentiel avant de reprendre notre marche sur Walata. Nous tentons maladroitement de  remettre à notre hôte,  le prix du mouton. Il opposa un refus poli mais ferme à notre proposition se contentant d’accepter un présent  modeste.  Un simple verre à thé.
Six heures quarante cinq minutes. Nous reprenons la route. Nous roulons sur un plateau pierreux avant de nous engager dans Bahguett Assabay (la clairière des combrétacées).

Nous dépassons le marigot de Toubghoum (la profonde), ses cuvettes verdoyantes et ses merveilleux paysages.

 La dorsale d’Anji, qui s’étire à l’infini sur notre gauche, semble surveiller notre progression sur un territoire qu’elle domine depuis la nuit des temps.

 Notre descente sur la plaine de khreibga (le damier) se passe sans encombre.

J’en profite pour contempler Ras El Khanouva (la pointe de la trompe), l’extrémité sud d’Anji. C’est la partie la plus haute de la chaîne.

 Les Nemadis projettent de s’y réfugier le Jour du Jugement Dernier. Ici, pensent-ils, rien ne viendrait troubler leur quiétude.

Nous dépassons cet endroit mythique pour mettre le cap sur  les plus beaux monts de la contrée d’Anji : Khneg Lemhar (les cols des gazelles) et la mare de Kedama.

Nous traversons la région de Lehneikatt (les mâchoires) avant de nous arrêter au puits d’Oujav.

 Ce dernier est foré au pied d’un petit monticule. Sa margelle et ses bassins sont dans un piteux état et menacent de s’effondrer à tout moment. Apparemment, il n’a bénéficié d’aucune réfection depuis des décennies.

 Sur place nous rencontrons des bergers venus abreuver un grand troupeau  de chameaux.

 Mohamedou les supplia de lui traire une chamelle. Ils n’en firent rien.

Je profite de l’arrêt pour préparer un thé, un mauvais thé bien entendu. Les bergers, agglutinés autour de notre véhicule, acceptent de le partager avec moi sous l’œil inquisiteur de Mohamedou.

Nous prenons le soin de compléter notre provision d’eau au puits d’Oujav. Une précaution utile.

Après Oujav, nous traversons les vestiges d’un village antique : Kseir Namouss (le hameau des moustiques).
 Sur une superficie d’environ quatre cents mètres carrés on pouvait compter plus d’une centaine de tombes anonymes. Des amas de pierres.

 Aux dires des nomades rencontrés, les habitants de Kseir Namouss auraient été emportés par la malaria.

Qui étaient-ils ? De quoi vivaient-ils ? En quelle date la maladie a t-elle décimée la population de ce hameau ? Une énigme.

Sur notre route nous passons à coté d’une autre saline, Vraikika (la bruyante).

Comme sa sœur jumelle, Tinigar, elle regorge d’eau.

Quelques kilomètres plus au sud nous croisons un campement nomade en transhumance. Notre guide alla à sa rencontre pour obtenir du lait de chamelle. Il revint bredouille.

Chemin faisant, nous longeons les monts Khachm Essedre (le museau du Ziziphus muratianas),  Dakhlett Tajirarett (la baie), Affam El Kebchiyatt (les portes des béliers) et legleib Lazrag (le monticule bleu).

A partir de Khachm Essedre les pâturages, jusque là abondants et verdoyants, firent place à un paysage désolé. Une vallée dénudée et des épineux squelettiques, éprouvés par une longue période de sécheresse.

 Nous observons un bref arrêt pour donner à boire à trois gamins conduisant un troupeau de brebis vers le nord.

A la hauteur de Legleib Lazrag nous croisons un convoi de touristes européens en route vers Tichitt. Nous échangeons des salamalecs puis les deux Toyota d’Adrar Voyages disparurent dans un nuage de poussière.

Sur notre droite nous aperçûmes au loin la lisière de l’Aouker, une mer de sable  où nul n’ose s’aventurer.

Tagourarett, notre prochaine étape, est encore loin.

La voiture se faufile tant bien que mal entre des bancs de sable mouvants. Nous franchissons Galb Graviv (le mont des hyènes), un mont géant en forme de dinosaure. La chaleur est torride. Insupportable. Des bancs dunaires retardent notre progression.

Epuisés, le corps en sueur et le morale au plus bas nous arrivons enfin au puits de Tagourarett. Là Mohamedou réussit à obtenir un litre de lait de chamelle en échange d’un kilogramme de sucre. Sur place nous tentons de payer un mouton mais le prix est hors de portée.

Nous traversons sans encombre,  Egdett Lemina (le bosquet), une grande vallée boisée. Au loin apparurent Galb Lemsadir (le mont de la corvée d’eau) et Galb Owk Letaach (le mont de la soif). Puis, tout au fond de la vallée émergèrent, de la  brume, Leyoun El Khedher (les sources bleues).

A Taref  Esbou (le pic du doigt), nous réussissons à payer un mouton à des nomades en transhumance.

 Nous leur offrons de l’eau et un paquet de biscuit à l’unique enfant du groupe, une fillette malingre de quatre ans environ.

Douze heures et quart. Nous dépassons Taref Lemreyé (le pic du miroir) avant de nous attaquer à Zirett Nassekha (la dune du clone) puis à Edkhaylett   de Soumbara (la petite baie), une cuvette prise en étau entre deux collines.

Treize heures. Le soleil est au zénith. Nous décidons de nous arrêter pour la pause déjeuner. L’endroit est superbe. La Batha d’El Mechthar (le marigot réputé). De gros arbres touffus. De l’ombre. Du sable fin. Le gazouillis des oiseaux. Le parfum bienfaisant des acacias en fleurs.

 Mokhtar et Brahim préparent leurs couchettes et s’endorment aussitôt.

Légèrement rétabli de ma migraine de la veille mais encore abattu et à bout de force je tente d’aider Mohamedou à dépecer le mouton et à préparer le méchoui.

Une longue caravane transportant du sel passa à coté de nous sans s’arrêter. Elle vient probablement de la saline voisine de Tagourarett et se dirigerait vers la ville malienne de Léré.

L’instant d’après un jeune dioula, conduisant un troupeau de chèvres au marché de Walata, accepte timidement de partager notre repas.

Quinze heures cinquante. Nous reprenons la route.

Une piste sinueuse et sablonneuse. Nous traversons un petit hameau serein, Galb Ejmel (le mont du chameau). Une bourgade fondée au début du siècle dernier  par des Massna, des Chérifs et des Oulad Bella, des tribus originaires de Tichitt.
Au fil des ans, ces sobres migrants ont réussi à reproduire, au creux d’une vallée balayée par les vents et cernée de toutes parts par de hautes collines, la Tichitt de leurs origines.

Après Galb Ejmel, nous passons à coté de la cité historique de Touézeght. Walata n’est plus qu’à quatre kilomètres. Nous jubilons.

 Sur les visages meurtris de mes compagnons de route, l’inquiétude cède la place à la joie.

Dix sept heures trente.  Nous y sommes enfin. Walata est à nos pieds.  Je la reconnais à peine.

La petite cité historique s’est beaucoup métamorphosée depuis mon dernier passage en 1993.

 De nombreuses maisons ont été restaurées. Des auberges ont fleuri un peu partout.

Une centrale électrique et un réseau de distribution d’eau ont été construits.

Le visage de Mokhtar s’illumine. Brahim nettoie ses lunettes d’un geste machinal et les range soigneusement dans leur étui. Mohamedou arbore un sourire de satisfaction. Il a rempli son contrat.

A Walata, Mokhtar et moi sommes chargés d’étudier la possibilité d’installer un relais pour la rediffusion  en FM des programmes de Radio Mauritanie. Mais ceci c’est une autre histoire.                    

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